« Le ciel au-dessus du port avait la couleur d’une télé allumée sur une chaîne hors-service. »
Dès la première phrase, le ton est donné. Neuromancien est un roman écrit en 1984 qui nous invite à suivre le lapin blanc de la cybernétique pour passer de l’autre côté de l’écran, où la marche du monde se décide à coups de transactions boursières virtuelles et de piratages de données. Encore une geekrie imbaisable ? Pas exactement, il s’agit plutôt d’un thriller cyberpunk (branche à crête de la science-fiction) qu’on présente comme fondateur du genre même si par exemple Blade Runner de Philip K. Dick en annonçait déjà les prémisses. Il nous décrit un monde dominé par de grandes multinationales où les masses droguées s’entassent dans de gigantesques banlieues sous cloche et vouent un culte monomaniaque au dieu du virtuel libérateur tapi dans la Matrice. Ça ne vous rappelle rien ? Ouvrez les yeux.
Le début de l’histoire se passe au Japon, à Chiba, le paradis des tables d’opération clandestines où l’on peut moyennant cash se faire poser des implants bioniques sous le manteau. Case, le protagoniste, zone là depuis quelques temps. Il vit de truande et de petits deals, loge dans un hôtel cage à poules avec son ordinateur et son disque dur externe, la galère quoi ! Pourtant, avant ça, c’était un as des cow-boys informatiques. « Comme voleur, il avait travaillé à la solde d’autres voleurs plus nantis, des employeurs qui lui fournissaient le logiciel de luxe requis pour franchir les murs étincelants des systèmes corporatifs, ouvrant ainsi les portes de juteux champs de données. » Le pied ! jusqu’au jour où il s’est fait toper en train de siphonner les données de ses propres employeurs. En pétard, ces derniers lui ont grillé ses implants qui lui permettaient d’accéder à la Matrice, à « la donnée faite chair » et ses formes géométriques multicolores super chouettes. Fin du rêve, retour sur terre, « Case chutait dans le cachot de son propre corps. »
Scène d’ouverture : dans un petit bar à putes pour expatriés, en gros son lieu de travail, Case cause de manière badine avec Ratz, le barman adipeux au bras bionique. « Sa laideur était fait de légende. À l’époque d’une beauté abordable, en manquer avait un côté héraldique. » Des gueules, de la magouille, une ambiance sombre sur fond d’une réalité robotisée enchaînée aux univers virtuels de toutes sortes (jeux vidéos, combats de boxe holographiques géants, etc.), c’est la recette du cocktail cyberpunk. Le héros l’avoue lui-même en VO : « That is so much bullshit. » Ça tombe bien, c’est ça qu’on aime !
Au fond du trou, Case se voit proposer par le mystérieux Armitage la réparation de ses implants en échange d’un nouveau casse informatique à accomplir. Même joueur, joue encore ! C’est parti pour une équipée sauvage bourrée d’effets spéciaux sur trois continents et en orbite. On ne saurait toutefois vous en révéler davantage sans vous gâcher le plaisir de cette intrigue à tiroirs pleine de rebondissements, de ses trouvailles et autres bizarreries technologico-littéraires telles le simstim aux possibilités poético-hallucinatoires tout à fait épatantes. La vision apocalyptique en prime. Complexe et trépidant.