Nombre de messages : 2403 Pensée du jour : L'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots (Bergson) Date d'inscription : 21/08/2012 | Marybat / Guère épais Sam 12 Oct - 10:25 | |
| j'ai beaucoup aimé moi aussi cette saga, mais là, je ne parle que des livres. Les films ne reflètaient pas du tout la qualité littéraires des romans. Pour moi, ce sont surtout des romans historiques fort bien écrits et fort bien documentés sur l'époque de Louis XIV. La partie de la saga que je préfère est celle où elle part pour le nouveau monde. Découverte de Gouldsboro, Québec, le Maine... Ah, tiens ça me donne envie de m'y replonger !
Je mettrai quelques extraits moi aussi, Patricia. Le temps que je retrouve mes bouquins. |
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Nombre de messages : 2403 Pensée du jour : L'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots (Bergson) Date d'inscription : 21/08/2012 | Marybat / Guère épais Ven 18 Oct - 14:41 | |
| Patricia, j'ai trouvé deux extraits sur le net. J'espère que l'on a le droit de les mettre ici, au fait ? - L'enfance d'Angélique:
L'une des murailles du château de Monteloup regardait du côté des marais. C'était la partie la plus ancienne, construite par un lointain seigneur de Ridoué de Sancé, compagnon de du Guesclin au XIVe siècle. Elle était flanquée de deux grosses tours, aux chemins de ronde en tuiles de bois, et quand Angélique en faisait l'escalade avec Gontran ou Denis, ils s'amusaient à cracher dans les mâchicoulis par lesquels les soldats du Moyen Age avaient jeté des seaux d'huile bouillante sur leurs assaillants. Les murailles prenaient racine dans un petit promontoire de calcaire au-delà duquel commençaient les marais. Jadis, au temps des premiers hommes, la mer s'était avancée jusque-là. En se retirant elle avait laissé un réseau de rivières, de chenaux, d'étangs, maintenant encombrés de verdure et de saules, royaume de l'anguille et de la grenouille où les paysans ne circulaient qu'en barques. Les hameaux et les huttes étaient construits sur les îles de l'ancien golfe. Pour avoir parcouru cette province des eaux, M. le duc de la Trémoille, qui fut l'hôte un été du marquis du Plessis et qui se piquait d'exotisme, l'appela: Venise verte.
La vaste prairie liquide, le marais doux, s'étendait de Niort et Fontenay-le-Comte jusqu'à l'océan. Elle rejoignait un peu avant Marans, Chaillé et même Luçon, les marais amers, c'est-à-dire les terres encore salées. Enfin c'était le rivage avec sa barrière blanche de sel précieux, disputé âprement par les douaniers et les contrebandiers.
Si la nourrice ne contait guère des histoires de gabelous et de faux-sauniers, qui passionnaient tout le marais, c'est qu'elle était du côté de la terre et se montrait fort méprisante pour ces gens qui vivent les pieds dans l'eau et sont d'ailleurs tous protestants.
Du côté de la terre, le château de Monteloup ouvrait une façade plus récente, percée de nombreuses fenêtres. A peine si un vieux pont-levis aux chaînes rouillées garnies de poules et de dindons séparait l'entrée principale des prairies où paissaient les mulets. Sur la droite, il y avait le pigeonnier seigneurial avec son toit de tuiles rondes et une métairie. Les autres métairies se trouvaient au-delà du fossé. Plus loin on apercevait le clocher du village de Monteloup.
Et puis la forêt commençait dans un moutonnement serré de chênes et de châtaigniers. Cette forêt pouvait vous mener sans un trou de clairière jusqu'au nord de la Gâtine et du Bocage vendéen; presque jusqu'à la Loire et l'Anjou, pour peu que vous eussiez le goût de la traverser de part en part sans peur des loups ou des bandits.
Celle de Nieul, la plus proche, appartenait au seigneur du Plessis. Les gens de Monteloup y envoyaient paître leurs troupeaux de porcs et c'étaient des procès sans fin avec le régisseur du marquis, le sieur Molines, aux mains rapaces. Il s'y trouvait aussi quelques sabotiers et charbonniers, et une sorcière, la vieille Mélusine. Celle-ci, l'hiver, en sortait parfois et venait boire une écuelle de lait au seuil des portes en échange de quelques plantes médicinales.
A son exemple, Angélique cueillait des fleurs et des racines, les faisait sécher, bouillir, les écrasait, les enfermait en sachets dans le secret d'une retraite que seul connaissait le vieux Guillaume. Pulchérie pouvait l'appeler des heures sans qu'elle reparût.
Pulchérie pleurait parfois lorsqu'elle songeait à Angélique. Elle voyait en elle l'échec non seulement de ce qu'elle pensait être une éducation traditionnelle mais aussi de sa race et de sa noblesse perdant toute dignité pour cause de pauvreté et de misère.
Dès l'aube, la petite s'enfuyait, cheveux au vent, à peine plus vêtue qu'une paysanne d'une chemise, d'un corselet et d'une jupe déteinte, et ses petits pieds aussi fins que ceux d'une princesse étaient durs comme de la corne, car elle expédiait sans façon ses chaussures dans le premier buisson venu, afin de trotter plus légèrement. Si on la rappelait, elle tournait à peine son visage rond et doré par le soleil où brillaient deux yeux d'un vert de la couleur de cette plante qui pousse dans les marais et qui porte son nom.
«Il faudrait la mettre au couvent», gémissait Pulchérie.
Mais le baron de Sancé, taciturne et rongé de soucis, haussait les épaules. Comment aurait-il pu mettre sa seconde fille au couvent alors que déjà il ne pouvait y envoyer l'aînée, qu'il avait à peine quatre mille livres de revenus annuels et qu'il lui fallait donner cinq cents livres pour l'éducation de ses deux fils aînés chez les augustins de Poitiers?
Du côté des marais, Angélique avait pour ami Valentin, le fils du meunier.
Du côté des forêts, c'était Nicolas, l'un des sept enfants d'un laboureur et qui déjà était berger chez M. de Sancé.
Avec Valentin elle allait en barque, en «niole», au long des chemins d'eau bordés de myosotis, de menthe et d'angélique. Valentin cueillait à pleins rameaux cette plante haute et drue à l'odeur exquise. Il allait ensuite la vendre aux moines de l'abbaye de Nieul qui en faisaient, avec la racine et les fleurs, une liqueur de médecine, et avec les tiges de la confiserie. Il recevait en échange des scapulaires et des chapelets dont il se servait pour les lancer à la tête des enfants des villages protestants qui s'enfuyaient alors en hurlant comme si le diable lui-même leur eût craché au visage. Son père le meunier déplorait ces étranges manières. Bien qu'il fût catholique, il affichait la tolérance. Et qu'avait donc besoin son fils d'entretenir un commerce de bottées d'angélique alors qu'il recevrait en héritage la charge de meunier, et qu'il n'aurait qu'à s'installer dans le confortable moulin, bâti sur pilotis au bord de l'eau?
Mais Valentin était un garçon difficile à comprendre. Haut en couleurs et déjà taillé en Hercule pour ses douze ans, plus muet qu'une carpe, il avait un regard vague et les gens qui étaient jaloux du meunier le disaient presque idiot.
Nicolas, le berger bavard et hâbleur, entraînait Angélique à la cueillette des champignons, des mûres et des myrtilles. Avec lui elle allait ramasser les châtaignes. Il lui creusait dans le bois de noisetiers des pipeaux.
Ces deux garçons étaient jaloux à s'entretuer des faveurs d'Angélique. Elle était si jolie déjà que les paysans la regardaient comme la vivante incarnation des fées qui habitaient le gros dolmen du Champ sorcier.
Elle avait des idées de grandeur. «Je suis marquise, déclarait-elle à qui voulait l'entendre. - Ah! oui? Et pourquoi donc? - Parce que j'ai épousé un marquis», répondait-elle.
Le «marquis», c'était tour à tour Valentin ou Nicolas, ou l'un des quelques garnements, pas plus méchants que des oiseaux, qu'elle traînait derrière elle à travers prés et bois.
Elle disait encore si drôlement:
«Je suis Angélique, je mène en guerre mes petits anges.»
D'où lui vint son surnom: la petite marquise des anges.
- Angélique et la Cour des Miracles:
L'odeur du quartier devenait pénétrante, affreuse: viande et fromages, légumes pourrissant dans les ruisseaux et sur le tout, un relent de putréfaction. C'était le quartier des Halles, scellé par l'horrible mange-chair: le cimetière des Saints-Innocents.
Angélique n'était jamais allée aux Innocents, bien que ce lieu macabre fût l'un des rendez-vous les plus populaires de Paris. Et l'on y rencontrait même des grandes dames venues faire choix de "librairies" ou de lingeries dans les boutiques installées sous les charniers.
C'était un spectacle familier, dans la journée, de voir des seigneurs élégants et leurs maîtresses aller d'arcades en arcades, en repoussant négligemment du bout de leurs cannes des têtes de morts ou des ossements épars, tandis que des enterrements les croisaient en psalmodiant.
La nuit, ce lieu privilégié où l'on ne pouvait, par tradition, arrêter personne, servait de refuge aux filous et aux malandrins, et les libertins venaient y choisir parmi les ribaudes leurs compagnes de débauche.
Comme on arrivait devant l'enclos dont la muraille écroulée en maint endroit permettait de pénétrer à l'intérieur, un clocheteur des trépassés sortit par la grille principale, vêtu de sa lévite noire brodée de têtes de morts, de tibias entrecroisés et de larmes d'argent. Apercevant le groupe, il dit sans s'émouvoir:
«Je vous avertis qu'il y a un mort rue de la Ferronnerie, et qu'on demande des pauvres demain pour le cortège. Il sera donné à chacun dix sols et une cotte ou un manteau noir. - On ira, on ira!» s'écrièrent plusieurs vieilles édentées.
Pour un peu, elles seraient allées s'installer tout de suite devant la maison de la Ferronnerie, mais les autres les houspillèrent et Cul-de-Bois rugit une fois de plus, les injuriant copieusement:
«M... alors! Si nous nous occupons de notre boulot et de nos petites affaires, alors que le Grand Coesre nous attend! Qu'est-ce qui m'a f... des mémés pareilles! Les usages se perdent, ma parole!...»
Les mémés confuses baissèrent la tête et tremblotèrent du menton. Puis chacun, qui par un trou, qui par l'autre, se glissa dans le cimetière.
Le crieur des morts s'éloigna en secouant sa clochette. Au carrefour, il s'arrêtait, levant son visage vers la lune, et psalmodiait lugubrement:
Réveillez-vous, gens qui dormez Priez Dieu pour les trépassés
Angélique, les yeux agrandis, s'avançait à travers le vaste espace gorgé de cadavres. Çà et là, il y avait des fosses communes grandes ouvertes, déjà à moitié pleines de corps cousus dans leurs linceuls, et qui attendaient un nouveau contingent de morts pour être refermées.
Quelques stèles, quelques dalles, posées à même le sol, marquaient les tombes de familles plus fortunées. Mais c'était ici depuis des siècles le cimetière des pauvres gens. Les riches se faisaient enterrer à Saint-Paul.
La lune, qui avait choisi enfin de régner dans un ciel sans nuages, éclairait maintenant la mince pellicule de neige recouvrant le toit de l'église et des bâtiments alentour.
La croix des Buteaux, qui était un haut crucifix de métal, dressé près du prêchoir, au centre du terrain, luisait doucement.
Le froid atténuait l'odeur nauséabonde. Personne d'ailleurs n'y attachait d'importance et Angélique elle-même respirait avec indifférence cet air saturé de miasmes.
Ce qui attirait son regard et la sidérait au point qu'elle avait l'impression d'être la proie d'un cauchemar, c'étaient les quatre galeries qui, partant de l'église, formaient l'enclos du cimetière.
Ces bâtiments datant du Moyen Age étaient composés, dans leurs soubassements, d'un cloître aux arcades en ogive où, le jour venu, les marchands établissaient leurs éventaires.
Mais, au-dessus du cloître, se trouvaient des galetas couverts de toits de tuiles, et qui reposaient du côté du cimetière sur des piliers de bois, laissant ainsi des intervalles à claire-voie entre les toitures et les voûtes. Tout cet espace était comblé d'ossements. Des milliers et des milliers de têtes de morts et de débris de squelettes s'entassaient là. Les greniers de la mort, gorgés de leur sinistre récolte, exposaient aux regards et à la méditation des vivants des amoncellements inouïs de crânes que les courants d'air séchaient et que le temps réduisait en cendre. Mais, sans cesse, de nouvelles provendes, extraites de la terre du cimetière, les remplaçaient.
En effet, un peu partout, près des tombes, on voyait des tas de squelettes assemblés en fagots ou les sinistres boules blanches des têtes de morts soigneusement empilées par le fossoyeur et qui, demain, seraient rangées dans les greniers, au-dessus du cloître.
«Qu'est-ce que... qu'est-ce que c'est?» balbutia Angélique, pour qui une telle vision ne pouvait appartenir à la réalité et qui craignait d'être devenue folle.
Perché sur une tombe, le nain Barcarole la regardait avec curiosité.
«Les charniers! répondit-il. Les charniers des Innocents! Les plus beaux charniers de Paris!»
Il ajouta après un instant de silence:
«D'où sors-tu? T'as donc jamais rien vu?»
Elle vint s'asseoir près de lui.
Depuis qu'elle avait presque inconsciemment labouré de ses ongles le visage du drille, on la laissait tranquille et on ne lui parlait plus.
Si des regards curieux ou paillards se tournaient vers elle, il y avait tout de suite une voix pour renseigner:
«Cul-de-Bois a dit: elle est à nous. Méfiance, les gars!»
Angélique ne s'apercevait pas qu'autour d'elle l'espace du cimetière, encore à demi désert un moment avant, se remplissait peu à peu d'une foule haillonneuse et redoutable.
La vue des charniers la retenait. Elle ne savait pas que ce goût macabre d'entasser les squelettes était particulier à Paris. Toutes les grandes églises de la capitale cherchaient à faire concurrence aux Innocents. Angélique trouvait cela horrible. Le nain Barcarole, lui, trouvait cela magnifique. Il murmura:
... La mort enfin les brava. Que de mal pour mourir au monde Et ne savoir pas où l'on va!
Angélique se tourna lentement vers lui.
«Tu es poète? - Ce n'est pas moi qui parle ainsi, mais le Poète-Crotté. - Tu le connais? - Si je le connais! C'est le poète du Pont-Neuf. - Celui-là aussi, je veux le tuer.»
Le nain sursauta comme un crapaud.
«Quoi? Pas de blagues. C'est mon copain.»
Il regardait autour de lui et prenait les autres à témoin, en posant un doigt sur sa tempe.
«Elle est folle, la frangine! Elle veut buter tout le monde.»
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